Cas particulier d’un handicap orphelin en quête de compassion

Auteur : J-J. G - Genève - 10/05/2006

Ce n’est qu’assez récemment que des lois, des règlements et /ou des actions collectives ont commencé à se pencher sur le sort quotidien de certains handicapés. Les architectes tiennent compte de la largeur d’une chaise roulante par rapport à une porte de W-C et vice versa. De même pour les hauteurs de trottoirs, les marches des trains, bus et trams. Les écoles facilitent de mieux en mieux l’intégration d’enfants "différents".

Mais que fait-on pour tous ceux qui ne peuvent pas manger des fraises des bois ? Il ne s’agit certes pas d’une allergie provoquant un oedème fatal. On a décrit chez ces handicapés des troubles associés pouvant aller de l’impossibilité de choisir la date de départ en vacances en voiture en fonction des avis de Bison Futé jusqu’au manque d’appréciation de certaines formes picturales (ils ne sont pas impressionnés par les Impressionnistes par exemple). On ne va pas en faire un fromage, direz vous. Certes car pour les fraises des bois c’est simplement parce qu’ils ne les voient pas au sein de la verdure ambiante alors ils en trouveront au supermarché du coin. Pour les avis de Bison Futé, exprimés en signaux Oranges ou Verts, ils n’ont qu’à retenir le message oral. Et pour les débords d’imagination des peintres les plus fameux qui leurs passent au dessus de la rétine, eh bien, qu’ils évitent les visites aux Musées, c’est pas si grave. Certes.

Mais si je vous dit qu’au volant de leur voiture ils disent que "faute de savoir de quelle couleur est le feu allumé, je n’ai d’autre alternative que de freiner" ou "il m’est arrivé de passer au rouge sans même le remarquer" [1] est-ce que cela devient plus sérieux ? Et si j’ajoute que 8% des hommes souffrent de ce handicap (pas 8 pour mille, je dis bien 8 pour cent) alors est-ce que cela commence à vous intéresser ?

La profession médicale a souvent joué un rôle important pour aider les handicapés. Un collègue local de renommée internationale [2] est parvenu à sensibiliser des milliers de membres de l’équipe de santé [3] en leur faisant astucieusement "vivre" certains handicaps particulièrement fréquents chez les diabétiques comme par exemple, se trouver confronté en chaise roulante à une porte étroite de toilette ou marcher pieds nus sur un étroit sentier bordé d’éclats de verre en référence aux troubles neurologiques des diabètes avancés. Curieusement l’annonce du Congrès de Therapeutic Patient Education 2006 [4], dédié à sa contribution, propose une carte détaillée de la belle ville de Florence visant à faciliter le choix d’un hôtel avec un choix de 10 couleurs sauf malheureusement pour nos handicapés orphelins qui pourront toujours se réfugier sous le Ponte Vecchio.

Revenons à nos « Daltoniens » car comme vous l’avez deviné c’est de ce handicap qu’il s’agit. Sans entrer dans les détails des anomalies de la vision des couleurs (tri- ou di- dyschromatopsies répartis en deutéranopies et en protanopies) disons pour simplifier que la plupart des 8% atteints par ce handicap confondent le "rouge" et le "vert".

Non seulement ils rencontrent des difficultés devant la diversité des nombreux éléments colorés de la signalisation routière mais ils n’osent même pas en parler. "Je ne parle pas souvent de ce problème car il serait désagréable de s’entendre dire que l’on ne puisse pas conduire avec ce déficit" [5]. Et en prime quand ils en parlent on ne les prend pas au sérieux. L’apparent délire chromatique de ses choix vestimentaires lui attire des quolibets. A Genève depuis 5 ou 6 ans la variabilité des tonalités des feux a accompagné l’introduction par l’Office des Transports et de la Circulation (OTC) d’une technologie plus efficiente [6].

Il y a une dizaine d’années le « vert » était (pour un daltonien) très pâle et presque blanc, très facile à distinguer d’un « rouge » nettement plus sombre. Puis ce vert pâle fut remplacé soit par un « vert » que les daltoniens perçoivent comme « orange » soit par un « vert » que les daltoniens perçoivent légèrement bleuté beaucoup plus facile à distinguer du « rouge ».

Dès 2000 j’ai cherché à comprendre comment était fait ce choix. Une réglementation Européenne existe [7] mais semble porter plus sur l’intensité lumineuse, l’effet fantôme et l’économie d’énergie que sur des subtilités chromatiques intéressant les Daltoniens. J’ai aussi compris qu’il « n’existait pas d’études ou de groupes de travail ayant consulté des personnes souffrant de dyschromatopsies pour fabriquer les boites à feux » et que « la Gendarmerie ne dispose pas de statistiques concernant les accidents provoqués par une signalisation qui ne tient pas compte des dyschromatopsies ».

C’est finalement en 2005 que j’ai obtenu l’assurance que « dans le cahier des charges pour l’achat de boites à feux voitures et piétons, il sera inclus les normes chromatiques pour améliorer la sécurité des daltoniens ». Il s’agit en clair du choix de la « couleur vert intense tirant sur le turquoise ». C’est le choix qui avait été exprimé par la plupart des lecteurs du journal du Touring Suisse. Si les feuilles de fraisiers étaient d’un vert intense tirant sur le turquoise les daltoniens verraient mieux les fruits mûrs. Enfin du sérieux pour les OGM.

2 août 2005


Sommaire de la rubrique Archives 2006 (38)

  • Les plus et les moins du daltonisme
  • A mon tour
  • Pourquoi la pelouse est-elle rouge au soleil ?
  • Les maillots de rugby
  • TGV et PTT
  • Cas particulier d’un handicap orphelin en quête de compassion
  • Daltonien heureux
  • La mer est bleue, pas violette ?
  • Daltonien, et alors ?
  • Anecdotes daltonisme
  • Généalogie
  • Un daltonien malheureux
  • Armée et coquelicots
  • Appel d’une artiste
  • Chauffeur daltonien suisse ?
  • le daltonisme est un privilège
  • Plan professionnel
  • Bridgeur daltonien
  • Relativisons


  • [1] In Forum /Touring du 15 juillet 2004

    [2] Professeur (ret.) Jean-Philippe ASSAL, un de mes plus brillants élèves en pédagogie.

    [3] Séminaires de Grimentz (Département d’éducation thérapeutique - HUG)

    [4] Florence, Italie, 27-30 avril 2006, www.kenes.com/tpe2006

    [5] In Forum /Touring du 15 juillet 2004.

    [6] “LED” à diodes électroluminescentes.

    [7] EN 12368-12369 ou EN 50293.